Olivier Moulard

An 1 | Huile sur toile

An 1 | Le petit théâtre des gestes | Notes

Le geste est ambigu : il apparaît tantôt comme détenteur de significations et producteur de communications, tantôt comme purement mécanique, mouvement sans essence comme on le dirait d’un courant d’air, incarnation d’une information symbolique supposée réelle mais véritablement inaccessible, visibilité d’un quelque chose que notre intuition exacerbée se refuse à nier mais que notre intellection sait indicible parce qu’elle associe la signification au langage discursif. Ainsi, on ne sait jamais si le pouvoir indicatif du geste atteint sa cible, si celui qui voit le geste comprend le signe ou improvise une exégèse parce que, de cela, il faut bien en dire quelque chose.  D’aucuns rêvent le geste comme le prolongement de la parole, un paradigme inédit, quand d’autres le définissent comme une mimique sans mot et sans concept, une anaphore muette, voire un tic nerveux. Ainsi, on ignore si l’agent qui produit l’action n’émet pas involontaire un signe à celui qui lit le geste, si l’un et l’autre se dupent comme les acteurs d’un malentendu, si le petit théâtre des gestes nous contraint malgré nous à un dialogue de sourds ; tout au moins, on peut dire du geste qu’il stimule l’imagination à défaut de construire du sens.

Le geste est un art pauvre : sa fragilité se cherche une vitalité dans l’espace, sans que l’on ne sache jamais si cette économie de moyens fait de lui la matrice d’un protolangage, et si cette manière de ponctuer dans le vide, plutôt que de nous établir comme acteur, ne rend visible que pour mieux masquer l’inaction ; cette kinésie, libre de choisir sa grammaire ou de se référer à un catalogue établi de faits communs, sous la coupe d’une condamnation au silence, reflète et révèle ce qui en nous se pense sans mot. Bien entendu, il y a une bonne part d’obscurité dans le geste, comme s’il était le pendant d’une idée trop diffuse pour être énoncée distinctement, un quelque chose de pas assez élaboré pour être conceptualisé, de la collusion de pensées confuses ; finalement, le geste comme forme concise issue de contingences physiques, même s’il accède parfois à des registres poétiques, demeure paradoxalement mutique par nature, comme du domaine de l’abstraction ; le geste s’auto-référence plus qu’il n’explicite.  

Le geste est instable : débordement associé à un objet, à l’exercice d’un métier, à une pratique sportive, à une habitude clanique, à une érotique, ou élément d’un recueil, d’une classification, voire d’un dictionnaire, mais aussi pratique libérée de la contrainte, de la production et de la symbolique, le geste est nomade ; et comme un tâtonnement à la conquête de nouveaux territoires, il va provoquer la multiplicité des possibles et le déploiement forcé qui génère sa réinvention ; il s’affirme comme une entité spontanée, et à l’instar d’un son se perd en fécondant l’étendue croissante de l’espace et du temps.  Mais : regardez cette main levée !… Et aussitôt le ciel et sa peuplade de dieux est prise à témoin et vous prodigue protection… Mais : regardez cette main levée !… Et aussitôt, reversement de perspectives et ironie du sort, tout ce qui vit et se meut dans les nimbes vous menace et vous annonce le pire à vous et à votre engeance.

Le geste est une imitation : ce langage pantomime nous distingue le moins et nous ressemble le plus, toujours circonscrit voire englobé dans l’enclos d’un connu commun, parodie d’un lui-même et ornement, accessoire de notre propre corps et du corps social, complément du sujet et rituel familial, re-mémorisation et perpétuation, répétition heureuse ou traumatique ; finalement, éloquent ou iconique , le geste est un patois hérité de l’enfance tout autant qu’un idiome ;  l’imitation procède par similitudes très fines, par petites touches, par impressions de déjà-vu, par allusions, jamais par reproduction fidèle, nous sommes dans l’ordre du transcendantal, dans le registre du sensible, il n’y a pas d’authentification pour ce non-objet, pour ce flou sémiotique.